LA
PERSÉCUTION
DE DIOCLÉTIEN
ET
LE TRIOMPHE DE L’ÉGLISE
PAR
PAUL ALLARD
PARIS
1900.
Si l’on n’a pas tout à fait oublié le récit des persécutions qui sévirent aux deux premiers siècles, on se rappellera que les sources de leur histoire sont relativement peu nombreuses. En dehors des livres inspirés du Nouveau Testament, et de quelques écrits exceptionnels , comme la Didaché récemment découverte, ou le Pasteur, la littérature ecclésiastique était à peine née : l’effort de la pensée chrétienne se portait surtout vers l’enseignement oral, par la prédication ou la catéchèse; quand ses représentants les plus illustres prenaient la plume , c’était pour composer des ouvrages de circonstance , comme les épîtres de Clément, d’Ignace, de Polycarpe, ou les mémoires adressés aux empereurs par les apologistes. Ces derniers écrits ne prouvent pas seulement la persécution , contre laquelle ils élèvent une plainte éloquente : ils font plus, ils en donnent la vive image, l’impression douloureuse; leurs pages semblent parfois mouillées de sang. Mais (à part un passage de la seconde Apologie de saint Justin) ils ne s’arrêtent point aux incidents particuliers, et ne nomment aucun des héros chrétiens qui payèrent leur foi de leur vie. Cette discrétion des persécutés se retrouve plus grande encore , et pour des motifs assurément moins louables, chez les persécuteurs. Même dans les deux lettres célèbres échangées entre Pline et Trajan au sujet des chrétiens, et qui supposent l’existence de nombreux martyrs, aucun nom n’est relaté. Le reste de la littérature profane ne supplée pas au silence de ce document capital : un alinéa de Tacite, quelques mots obscurs de Dion Cassius et de Suétone, une allusion railleuse du satirique Lucien, laissent seuls voir que les grands écrivains de l’antiquité romaine ont entendu parler des souffrances des fidèles.
Si l’on veut obtenir sur ceux-ci des renseignements détaillés, il faut ouvrir les Actes ou Passions des martyrs. Mais, aux deux premiers siècles , ceux de ces documents qui paraissent authentiques et contemporains sont bien rares : à peine en pourrait-on compter cinq ou six. Pour le plus grand nombre des chrétiens dont les martyrologes ont enregistré les noms entre les règnes de Néron et de Commode, on est, semble-t-il, réduit aux renseignements tirés d’Actes de foi douteuse dans les détails ou de rédaction vague dans l’ensemble. Heureusement ces sources troublées elles-mêmes charrient un peu d’or sous une multitude de scories. Les diverses sciences auxiliaires de l’histoire, et en particulier l’archéologie, servent de pierre de touche pour le reconnaître.